"Limbes" la suite...
Petit récapépètage :
"Maelle" est morte accidentellement, son ame erre dans les limbes. Elle cherche à comprendre, à trouver sa place. Elle rencontre Gregory, qui semble en savoir plus...
...............Voilà pourquoi le corps de ce pauvre homme gît sur le sol, le crâne écrasé. Je l’ai vu tombé avant même qu’il ne se décide à se jeter par la fenêtre. Je le voyais passer et repasser, le dos courbé et tordu par le poids de sa solitude. Alors je me suis arrêtée et j’ai attendu. Jusqu’au moment où j’ai vu cette fameuse ombre, qui le suivait de près. Il est entré dans son immeuble et quelques minutes après, son cri a déchiré le silence de mon monde. Ce n’était pas un cri d’effroi ou de surprise, au contraire. Il se libérait. Il pensait enfin accéder à la paix, alors que je vis dans un monde de tourmente intérieure ! Sa tête est entrée en contact avec le sol et son spectre est apparu instantanément. Il regarde la scène, un sourire aux lèvres. Les gens s’amassent autour de son cadavre sanguinolent et démembré, en attendant les secours. J’avance vers l’homme, prête à lui annoncer ce qui l’attendait, à être franche.
Gregory me retient par le bras :
- N’y vas pas, me dit-il.
- Pourquoi ?
- Il ne reste pas, déclare-t-il, énigmatique.
Je regarde Gregory sans comprendre. Pourquoi ne reste-t-il pas ? Et pourquoi nous on resterait ? Je me retourne vers le jeune suicidé. Il est en pleine conversation avec un homme. Un homme que je n’ai jamais vu, un homme plus grand, une stature imposante ; un homme effrayant. Cet homme prend le défunt par le bras et l’emmène, en le tirant presque. Surprise, fascinée, abasourdie… J’observe sans comprendre, ils marchent le long de la route, puis disparaissent, se fondent dans le décor.
Je me tourne vers mon compagnon, Grégory est assis, à même le sol et observe le trafic derrière nous, indifférent à l’agitation paranormale. Je m’assois près de lui :
- Où est-il allé ? Qui est cet homme gigantesque ?
Gregory me jette un coup d’œil torve, puis se replonge dans la contemplation du trafic. Son regard devient vide, se perd dans le flot continu des voitures et s’éteint. Il ne distingue même plus les voitures qui vont et qui viennent, les passants qui courent autour de nous.
- Pourquoi tu ne réponds pas ?
- Je croyais que tu ne voulais plus me parler, répond-il d’une voix éteinte.
- Pourquoi es-tu resté alors ?
Gregory hausse les épaules, évitant de me regarder. Je continue :
- Qui était ce type effrayant ?
- Un passeur. Un passeur vers le fond, souffle Gregory.
Il met aussitôt ses mains sur sa bouche, comme pour retenir des mots sortis trop vite. Les yeux grands ouverts, il regarde droit devant lui.
- Un passeur vers le fond ? Qu’est-ce que c’est ? demandai-je.
Gregory secoue la tête, retire ses mains et répond d’une toute petite voix :
- Celui qui t’emmène… en bas… Là où tout n’est que souffrance et torture.
Je ne comprends pas. Mon éternité est ainsi. Je souffre d’être morte, de ne plus rien ressentir. Je ne cesse de me torturer en essayant de comprendre, d’exister. Alors « en bas », c’est quoi ? Cela ne peut pas être pire que ces limbes dans lesquelles je stagne.
- Tu ne comprends pas, poursuit Gregory. Toi, tu préfères continuer à penser, à réfléchir… Comme les vivants. Alors que tu ne devrais pas. Tu te sens seule, tu restes là, sans bouger, à les envier. Il n’y a rien à envier. Les vivants sont encore plus seuls que nous, alors qu’ils sont entourés, parfois aimés, parfois amoureux. Ils n’ont aucune conscience de la chance qu’ils ont. Ce type a tout saccagé. Son existence, ses rêves, sa vie… Il ne mérite pas de rester, il s’est tué volontairement. Il est descendu… En bas, c’est de la souffrance physique, des tortures physiques pour l’éternité.
- Je vois.
Oui, je vois très bien. En bas, la torture physique, en haut la torture mentale. Ce n’est pas un choix, c’est comme ça. Je me conforte dans l’idée que je suis finalement du bon cote.
- Et puis il y a ceux qui vont en haut, continue Gregory, enfin décidé à parler.
- En haut ? Mais… on n’est pas déjà en haut ?
Gregory me lance un drôle de regard.
- Non.
- Ah… Et, qu’est-ce qu’il y a en haut ?
- Je ne sais pas. Mais ceux qui y vont sont différents. Ils ont l’air… bien.
- Bien, c’est-à-dire.
Gregory se lève.
- Tu poses trop de question, Maëlle.
- Je suis bien obligée ! Toi, tu sais. Moi je ne sais rien. Et tu ne parles pas ! J’ai besoin de savoir !
- Tu n’as pas besoin de savoir. Tu n’as besoin de rien, tu m’entends ? Tu es morte ! Défunte, décédée, disparue… tu es même enterrée ! Le temps passe et tu en es toujours au même stade. Tu espères, tu regrettes, tu attends… Cela ne sert à rien, Maëlle, seulement à te faire souffrir.
Il secoue la tête, d’un air triste, tourne les talons et s’éloigne.
Je ne comprends plus, je ne le comprends plus. Sans lui je suis perdue, s’il ne me guide pas. Alors je me lève et le suis.
Alors il y a plusieurs niveaux… Moi qui doutait de l’existence d’un quelconque paradis, d’un quelconque enfer. Plusieurs questions se bousculent dans ma tête, je suis dans un flou total...
......a suivre un de ces prochains jours......