Exact, un grand nom de la musique vient de nous quitter.
Voici une belle biographie du Figaro pour ceux qui ne connaissait pas pas l'icône de la Soul.
Compositeur, chanteur et pianiste, il avait réussi à abolir les barrières raciales et à rassembler les publics autour de la soul music
Ray Charles, l'homme aux 10 000 concerts
Victime de complications d'une maladie du foie, Ray Charles s'est éteint, jeudi matin, dans sa maison de Beverly Hills (Californie), entouré de sa famille et de ses amis. Il était âgé de 73 ans. Titulaire de 13 Grammys récoltés au fil d'une longue carrière consacrée toute entière à la musique et à la scène, il avait fêté son 10 000e concert au Théâtre grec de Los Angeles, au printemps dernier. Son dernier album, Genius lives company, une série de duos avec Norah Jones, B.B. King, Elton John, Gladys Knight, Diana Krall et Willie Nelson, devrait sortir plus tôt que prévu.
Le style c'est l'homme. Celui de Ray Charles était irradiant, tragique, habité, insurpassable. Tellement imprégné par sa vie chaotique et ses souffrances d'homme, d'artiste noir et aveugle qu'ils n'ont fait qu'un tout au long d'une carrière qui aura duré plus d'un demi-siècle.
Hasard ou clin d'oeil du destin, il y a tout juste cinquante ans, un jeune pianiste et chanteur de 22 ans faisait une entrée fracassante dans les charts avec I got a woman, suivi l'année suivante par une joyeuse chanson qui fait sortir le gospel des églises, Hallelujah I love her so. Miracle et paradoxe d'une Amérique puritaine encore marquée par la ségrégation raciale, Ray Charles fait mieux que ses pairs – Armstrong, Ellington, Nat king Cole – en ampli fiant le phénomène du «crossover», autrement dit la fusion des publics noir et blanc qui vont se précipiter pour acheter les disques du label Atlantic.
«Au début, ce fut dur, avouait-il, parce que ma musique, plus bluesy que rock, venait du coeur et ne s'adressait pas aux ados.»
Ray Charles, c'était d'abord une voix au service d'un répertoire éclectique qui propulsera le gospel, le blues, le rhythm and blues, le jazz et la country sur le devant de la scène occupé par le rock de Presley en y apportant ce supplément d'âme qui fait la différence.
Emouvante, plaintive, souffrante, éraillée, criarde, sensuelle, traînante, elle est la marque indélébile d'un vocaliste qui transfigure tout ce qu'il chante. Les exemples ne manquent pas de chansons qu'il aura le génie de s'approprier et de métamorphoser en chants les plus beaux et les plus désespérés comme La Mamma, Il est mort le soleil, Ne me quitte pas, Eleanor Rigby, Yesterday ou encore Georgia on my mind, un vieux classique qu'il changea en long sanglot sur sa mère, son frère George disparu et sa Georgie natale.
Le style toujours et ce don unique, magique, de faire frissonner une salle dès les premières notes de I can't stop loving you. Question de présence et d'alchimie avec le public. A raison de quelque 250 à 300 concerts par an dans le monde entier, Ray Charles avait aussi ce sixième sens dès qu'il entrait en scène selon un rituel immuable et sacré – comme pour mieux conjurer sa cécité. Tandis que son orchestre et ses choristes, les Raelets, chauffaient la salle, un aboyeur dans les coulisses annonçait au micro : «Mister Rayyyyyyyy Charles !» Guidé par un musicien, un homme en smoking noir, dandinant comme un fou, s'approchait de son piano, les bras serrés contre son coeur, la tête tournée vers les étoiles, souriant, gémissant, palpant les bravos de cette foule qu'il sentait de tout son corps.
Quelques secondes miraculeuses qui lui permettaient ensuite d'improviser au piano, d'inventer une autre «intro», une autre attaque à des chansons cent fois, mille fois jouées, rabâchées dont il avait l'art de changer le tempo, créant toujours la surprise. Et si, par hasard, il y avait des mauvaises ondes dans la salle, Ray Charles bâclait son récital – ce qui est arrivé en juillet 1985 au Palais des Congrès.
Ouvert à tous les styles et maltraité à cause de cela par la critique et par quel ques pairs com me Marvin Gaye– «Il a aboli les frontières entre les genres musicaux et réussi à passer de la soul au blues et de la country au jazz», plaide Clint Eastwood qui a tourné avec lui quelques scènes de son documentaire sur le blues – déclaré plusieurs fois «has been», mais toujours présent dans le coeur de millions de fans, Ray Charles n'a jamais cessé de vivre pour sa musique.
«J'ai été quelqu'un de béni, disait-il simplement. La musique m'a tout donné. Si je devais mourir demain, je dirais que j'ai eu une belle vie.» Pas de doute, la postérité fera de Ray Charles l'un des plus grands, l'un des derniers chanteurs de jazz depuis Arsmtrong et Nat King Cole, le modèle de ses débuts.