L'interprétation est pensée comme un "problème" depuis le philosophe Dilthey (fin XIX° s). En somme ce "problème" réside en grande partie sur le fait que l'histoire, par rapport à d'autres disciplines, a une place contestée dans les Sciences.
D'un côté on a les sciences de la nature, celles où l'objet est extérieur à la conscience et où le but est d'expliquer des évènements, et de l'autre les sciences humaines, celles où il existe une continuité entre l'objet et la conscience et où la finalité n'est plus d'expliquer un évènement mais de le comprendre.
Je vous passe toutes les évolutions et réflexions qui ont traversées les écrits d'historiens comme Marc Bloch ou Henri-Irénée Marrou, mais l'interprétation et sa dérive, la sur interprétation, occupent une place très grande dans les différents débats historiographiques.
Pour rester le plus clair possible, l'historien n'est pas aussi sujet aux dérives qu'on peut le croire. Il a des outils qui lui permettent de se protéger contre les sur interprétations (les sources et une démarche qui garde pour ligne de conduite une exégèse de ses sources, un raisonnement analogique et une prise en compte obligatoire du contexte de rédaction des sources et de l'époque étudié, mais aussi l'étude du texte dans son intégralité). L'historien est aussi capable de discerner les différents niveaux d'intentionnalité des textes qu'il utilise pour appuyer sa recherche et, si c'est le cas, d'en écarter un "faux" document (et pour cette histoire d'intentionnalité, il faut se rabattre sur ce romancier, médiéviste à la base : Umberto Eco, l'un des penseurs les plus connus lorsqu'il s'agit de se pencher sur la question de l'interprétation (en histoire ou ailleurs)).
En outre, il est alors possible, via ces démarches et outils, de mesurer l'exactitude d'une interprétation, de voir si elle est "bonne" ou si elle est "mauvaise".
Dans tous les cas, pour reprendre les mots de Bloch (dont j'suis un grand fan !), l'historien est toujours invité à s'effacer devant les faits, il ne doit pas se faire juge (et cela répond en quelque sorte à votre question d'ouverture, Marquis).
Comme j'l'avais dit sur l'autre topic avec l'exemple de la Patrie et de l'histoire française et allemande au XIX° siècle, l'historien, auparavant, faisait blâme ou éloge de qui il voulait sans trop se soucier des faits.
Bref, "on" s'en est rendu compte bien tard (compte tenu du nombre de siècles d'existence de "l"histoire" (voir Hécatée de Milet, Hérodote and co)), mais l'histoire c'est la compréhension et non pas l'érudisme ou le jugement !
D'ailleurs, à ce propos tes derniers posts, Smart, débordant d'enthousiasme sur l'histoire et ses dessous, sont quand même assez proche de ce danger qui consiste à placer l'histoire au-dessus de tout le reste, et de virer dans une certaine partialité.
Et c'est bien pour ça que je disais qu'actuellement, l'histoire n'est pas (et ne le sera sans doute jamais) parfaite et impartial. Il suffit de voir les préférences dans l'enseignement de l'histoire, les sélections du passé, les évènements sacralisés. Le simple fait d'écrire "le 20ème siècle = LE siècle de l'Horreur dans toute son apogée" est révélateur d'un jugement.
"L'histoire, dit Bloch, à condition de renoncer elle même à ses faux airs d'archange, doit nous aider à guérir ce travers [juger, blamer et faire l'éloge du passé, être partial]. Elle est une vaste expérience des variétés humaines, une longue rencontre des hommes."
[Post rédigé en même temps que le flot des idées ! C'est pas forcément très abordables et ça ne répond pas à tout le monde, ni à tout le sujet. En attente de pouvoir l'étoffer avec vos remarques !]