. Le rap et ses rapports avec le business aux USA
Depuis le début des années 90, le rap est devenu pour de nombreux jeunes des ghettos un moyen de se sortir légalement de la pauvreté et d'atteindre peut-être l'univers de luxe et la vie facile décrite par de nombreux textes de rappers américains.
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Le rêve d'un label Noir
Comme nous avons pu le voir au cours de cet exposé l'histoire du rap aux Etats-Unis est fortement liée à celle des labels phares qui ont dominé chaque période que celui-ci a traversé : SugarHill, Tommy Boy, Profile, Def Jam, Wild Pitch, Ruthless, Death Row, Bad Boy, Loud, Rawkus... Ces labels ont quasiment tous été fondés par des jeunes passionnés de rap qui ont fait tout leur possible pour diffuser à travers le monde leur musique favorite.
Outre le parcours de Def Jam, label monté par Russell Simmons et Rick Rubin avec leurs économies en 1984 et qui représente aujourd'hui plusieurs millions de dollars, il convient de s'attarder sur la success story formidable de Master P, fondateur du label No Limit et entrepreneur sans égal. Au tout début des années 90, ce jeune noir fraîchement sorti d'une école de commerce ouvre un magasin de disques à la Nouvelle-Orléans et enregistre indépendamment son premier album. Pour le distribuer, il va sillonner tout le Sud des USA en voiture avec des exemplaires dans son coffre... il en écoulera 500 000!!! Il utilise alors son argent pour fonder son propre label et continue de distribuer seul ses albums suivants; les 4 seront certifiés eux aussi or! Il signe alors un contrat de distribution avec une major, ce qui lui permet d'être disponible dans tous les états et à l'étranger. Il prend dès lors d'autres groupes sous son aile, ouvre une entreprise de management de sportifs de haut niveau et pèse en 1998 plus de 100 millions de dollars, cristallisant le rêve du self-made man américain et de tous les jeunes dans la misère.
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L'empire Wu-Tang
Le Wu-Tang Clan a non seulement marqué l'histoire du rap mais aussi l'histoire de toute la musique américaine, de par le contrat unique qu'ils signèrent en 1993 avec Loud. Ce contrat permettait à chaque membre du groupe de signer où bon lui semblait en tant qu'artiste solo et donnait ainsi la possibilité au Wu-Tang d'être présent chaque mois avec un nouveau disque dans les bacs, contournant les lenteurs administratives des labels. The RZA, tête pensante du groupe, eut de plus l'idée de monter deux labels avec l'argent gagné (RAZOR SHARP et WU-TANG), pour assurer un peu plus encore l'hégémonie de son groupe et mettre en lumière tous ses groupes satellites. D'autre part, les membres du Wu se sont débrouillés pour être présent en tant qu'invité sur tous les "gros" albums des dernières années.
Sur un plan moins artistique, le Wu créa en 95 Wu-Wear, une marque de vêtements estampillés de leur sceau qui leur permet encore d'engranger des dividendes importantes; mais aussi une chaîne de salons de beauté et de produits cosmétiques pour les Noirs qui voît ses enseignes se multiplier. Dernièrement, le Wu-Tang a aussi monté une marque de skate alors qu'aucun de ses membres ne le pratique, montrant ainsi qu'ils ont définitivement intégré les lois du capitalisme et les subtilités du marketing.
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Un marché parallèle au rap
A côté des ventes officielles de disque, il existe un réel marché noir propre au rap : les mix-tapes. Ces cassettes réalisées par les meilleurs DJ mixent les meilleurs morceaux du moment avec des freestyles et des morceaux totalement inédits. Les ventes de ces cassettes sont parfois phénoménales et, à environ 6$ (~40 F) pièce, il arrive que certaines se vendent à 600 000 exemplaires. Les maisons de disques tolèrent ce marché, car elles savent que, si leur artiste est présent sur une mix-tape qui se vend bien, ceci lui fera une promotion efficace et gratuite. A l'opposé, les maisons de disques combattent le bootlegging, c'est-à-dire la mise en vente de pirates d'un disque avant sa sortie officielle par des personnes peu scrupuleuses en sa possession. En effet, ce phénomène a provoqué une baisse significative des ventes de certains disques. On estime ainsi que 200 000 bootlegs du Illmatic de Nas ont été vendus sous le manteau, occasionnant des pertes importantes pour l'artiste. En France, les mix-tapes connaissent aussi un développement exponentiel mais les chiffres de vente sont beaucoup plus raisonnables.
Outre ces moyens de distribution plus ou moins autorisés, le rap a initié des moyens de promotion inédits en donnant jour à la street promotion. Pour promouvoir un artiste, les maisons de disques font aujourd'hui appel à des sociétés extérieures qui se chargent de distribuer dans les endroits où se trouvent les plus grand fans de rap des prospectus publicitaires et des autocollants aux formes originales, mais aussi de couvrir toutes les grandes villes de stickers et d'affiches ou d'envoyer des maxis vinyles inédits aux DJ et aux radios spécialisées.
De plus, des entrepreneurs ont pu compter sur le pouvoir médiatique des rappers pour promouvoir leurs marques. D'anciennes marques de vêtements en perte de vitesse telles que Carhartt ou Caterpillar ont connu un nouveau succès du fait de la robustesse de leurs vêtements et chaussures qui ont su plaire aux fans de rap et aux jeunes. Par ailleurs, des marques de vêtements tels que Karl Kani, Cross Colours, Mecca, Enyce, Maurice Malone ou Tommy Hilfiger ont basé leur succès sur les coupes amples et confortables et sur le design street de leurs produits, aidés en cela par des rappers sous contrat. Elles ont imposé un look "rapper" qui s'est répandu dans le monde. Les rappers et leurs labels, conscients de l'importance d'un tel marché commence eux aussi à créer leur marque (Wu-Wear, No Limit, Phat Farm pour Def Jam, Enhance pour Loud, Sean John pour Bad Boy, Roc-A-Wear pour Jay-Z..). En France, Triangle, Wrung et Bullrot Wear sont les principales marques à avoir utilisé des rappers pour promouvoir leurs habits amples aux visuels inspirés par le graffiti.
D'autre part, au fil des ans, une presse spécialisée s'est développée aussi bien en France qu'aux Etats-Unis faisant le point sur les dernières sorties et tendances de l'univers rapologique. Aux USA, on peut citer Rap Pages, Vibe, Blaze, Rap Sheet et surtout The Source, qui a subtilisé la place de numéro 1 des magazines musicaux au légendaire Rolling Stone, marquant bien la prédominance actuelle du rap. En France, même si la situation est loin d'être aussi idyllique pour les journaux, des références de qualité sont trouvables dans les kiosques: L'Affiche, RER, Radikal, Groove, Da Niouz... et les fanzines amateurs continuent de se vendre dans la région parisienne.
On voit bien que le rap s'est non seulement imposé comme un genre musical mais aussi comme une force de vente et comme un pouvoir médiatique innovant, par le biais d'entrepreneurs emblématiques. Cependant, la nation rap garde toujours un oeil sur ses médias, par peur d'une institutionnalisation et d'une corruption qu'elle craint plus que tout. Ainsi, en 1997, l'ancienne rédaction de The Source fut totalement remplacé du fait d'une baisse flagrante du contenu des articles et de critiques un peu trop tendres à propos d'albums de proches de l'équipe, qui a été vivement dénoncée par les lecteurs... Le rap compte bien garder l'indépendance et le rôle critique vis à vis de la société qui ont fait son âme.
Conclusion
Cri de colère et de célébration, le rap est devenu en l'espace d'une vingtaine d'années la bande-son de toute une jeunesse en quête d'une nouvelle identité, grâce à l'acharnement de quelques passionnés. Censuré, boycotté par les radios, le rap, du fait de son constant renouveau et de sa fraîcheur, a pourtant su s'imposer comme la dernière alternative à une musique populaire formatée et vide de tout contenu. Il est, en effet, l'expression directe des incertitudes de cette fin de siècle. Cette tchatche hargneuse et poétique assenée comme une série d'uppercuts est devenue le symbole de "l'anti-langue de bois". De Cuba à l'Algérie, en passant par la Pologne, le Japon, l'Afrique Noire ou le Canada et surtout par la France, elle s'est répandue et s'est imposée comme le dernier moyen d'expression libre de toute une jeunesse en manque de repères et d'idéal. On peut, de plus, penser que son expansion va continuer encore un bon bout de temps car un peu partout dans le monde les difficultés subsistent. Par ailleurs, d'ici peu toute une génération ayant baigné dans un univers musical rapologique va arriver à la consommation et faire à coup sûr encore augmenter les chiffres de vente de cette musique.
L'ironie du sort est que les musiques, qui étaient auparavant abondamment "pillées" par les rappers, essayent aujourd'hui d'intégrer le rap à leur schéma rythmique. On ne compte plus les groupes de fusion rock ayant incorporé la composante rap à leur maelström électrique (Rage Against The Machine, Red Hot Chili Peppers...). De même, George Clinton et Prince, deux des dieux du Funk parmi les plus samplés, ont très vite pris en compte l'influence du rap pour leurs compositions. Même des artistes plus pop ont compris son importance; Texas et Björk faisant ainsi appel aux talents de remixeur de The Rza du Wu-Tang Clan quand Tricky convoquait Muggs de Cypress Hill. Dans une démarche artistique plus poussée, de jeunes jazzmen comme Steve Coleman, Erik Truffaz ou Branford Marsalis ont intégré des rappers à leurs formations, intéressés par le travail rythmique et les capacités d'improvisation de ceux-ci. Malgré une longue période d'acceptation, on constate que le rap est désormais considéré par les musiciens eux-mêmes comme un genre musical majeur.
Cependant, il convient de remarquer que, malgré tous ces métissages, le rap compte bien garder son intégrité et son regard critique vis-à-vis de la société. La nation rap est ainsi régie par des règles intangibles (attitude, look, tabous) mais scrupuleuses qu'il convient de ne jamais transgresser sous peine de s'en voir exclu. Par ailleurs, même s'il paraît au premier abord facile à pratiquer, le rap n'est ouvert qu'à ceux qui savent débrider leur imagination dans le moule rigide de la rime et du rythme; aux chroniqueurs sociaux qui savent dire en un texte toute une vie, en une rime toute l'émotion ou la souffrance d'un visage; à ceux qui peuvent faire d'une tranche de vie une fresque lyricale et sonore au réalisme poignant, tout en laissant libre cours à l'imagination des auditeurs. Sans conteste possible, le rapper est le griot des temps modernes.
Glossaire
- DJ : le disc-jockey, celui qui passe et manipule les disques.
- Flow : débit de mots, façon de rapper.
- Freestyle : Improvisation d'un rapper avec ou sans musique.
- Gangsta Rap : Variante de rap venue de Californie mélangeant des musiques mélodiques d'obédience funk et des paroles ultra-violentes ou sexistes.
- Hardcore : tendance dure et ultra-réaliste du rap, musicalement et textuellement parlant.
- Hip-Hop : Culture globale incluant le rap, le graffiti, la danse et le DJing.
- MC : Abréviation de Maître de Cérémonie. C'est le rapper qui tient le micro et met de l'ambiance dans une fête ou un concert.
- Mix-Tape : Cassette audio mixée par un DJ et enchaînant nouveautés, freestyles et titres inédits de différents artistes.
- Posse : Groupe d'amis ou de rappers.
- Sample : Echantillon sonore emprunté à un disque pour être incorporé à une nouvelle composition. Le procédé est le sampling et la machine est le sampler.
- Scratch : Effet sonore obtenu en actionnant un disque d'avant en arrière sur une platine et en modulant le son qui s'en échappe.
- Sticker : Autocollant.
Bibliographie
En français:
¤ Magazines mensuels : Real, L'Affiche, RER, Radikal, Groove...
¤ Ouvrages :
- Le rap ou la fureur de dire de Georges Lapassade et Philippe Rousselot, Loris Talmart, 1990
- Yo! Révolution Rap de David Dufresne, Ramsay, 1991
- L'Offensive Rap d'Olivier Cachin, Découvertes Gallimard, 1996
- The New Beats de S.H. Fernando Jr., Kargo, 2000.
En anglais:
¤ Magazines mensuels :
- The Source (The Magazine of Hip-Hop Music, Culture and Politics);
- Vibe;
- Blaze (disparu aujourd'hui);
- Rap Pages.
¤ Ouvrages: - Ego Trip's Book of Rap Lists de Chairman Mao, 2000