Pour un début de thême..... cette article:
Le Monde 14.01.05
Les messages publicitaires se complaisent dans le discours anti-vieux
Un petit garçon à l'allure de sale gosse affirme d'un air boudeur : "La mamie que je préfère, elle est dans le Frigidaire." L'affiche, vantant les mérites des yaourts Mamie Nova, est déjà ancienne. Elle était diffusée il y a une bonne dizaine d'années, bien avant la canicule de l'été 2003.
Déclinant le thème alors cher à la marque ("Mamie Nova, les mamies ne lui disent pas merci"), elle était censée faire rire pour provoquer l'achat. Peine perdue : conséquence ou pas de son humour douteux, la marque a été rachetée par le groupe Andros quelques années plus tard.
Les publicitaires ont manifestement un problème avec la représentation des seniors. Ils caricaturent cette tranche d'âge sans prendre beaucoup de précautions. Jean-Paul Treguer, publicitaire, fondateur de l'agence spécialisée Senioragency, collectionne les affiches et spots qui présentent les seniors de manière négative.
"C'est un phénomène mondial : les seniors sont un punching-ball pour les publicitaires. Ils sont décrits comme méchants, incapables, stupides, moches, etc.", assure Jean-Paul Treguer, qui ajoute : "On n'oserait jamais faire la même chose avec les gays ou les minorités ethniques."
La caricature se manifeste volontiers gratuitement. Pour promouvoir des produits destinés au grand public, les annonceurs n'hésitent pas à mettre en scène des vieillards amoindris, invariablement dotés d'un dentier et dont les handicaps se veulent source d'humour.
Le fournisseur d'accès Internet AOL diffuse ainsi l'image d'une vieille dame qui regarde son écran d'ordinateur en soulevant verticalement la souris. Le slogan frappe comme une gifle : "A quoi ça sert d'avoir Internet si on ne sait pas s'en servir ?"
Une page publicitaire du fabricant de produits antimoustiques Baygon utilise un registre plus vulgaire. A gauche de la photo d'une sexagénaire figure la mention : "Ça fait longtemps qu'ils ne me touchent plus la nuit." Puis, à droite, en plus petit : "Les moustiques, du moins." Et l'on trouve dans le musée des horreurs de Jean-Paul Treguer des spots bien plus blessants, injurieux, voire orduriers.
RIDICULISER LEUR CIBLE
Curieusement, lorsque les annonceurs cherchent à cibler les plus de 50 ans, ils ne manifestent pas toujours plus de finesse. Ainsi ils oublient souvent que leur clientèle potentielle porte des lunettes. De nombreuses pages sont rédigées en petits caractères ou utilisent des couleurs qui se distinguent mal entre elles.
Surtout, les annonceurs semblent décidés à ridiculiser leur cible. Un bandeau de la banque Egg représentait ainsi, il y a quelques années, une hypothétique cliente sous le jour d'une femme grotesque, portant gants, chapeau et lunettes d'un autre âge.
Un spot diffusé actuellement par l'assureur AGF illustre le manque de tact des agences de publicité et des annonceurs. Une petite fille, accompagnée de ses parents, pénètre dans une maison qui semble à l'abandon. Le courrier s'entasse, les volets sont fermés. La petite fille s'inquiète, appelle "Mamie". Les parents se regardent d'un air consterné, et la maman explique doucement que la grand-mère est "partie pour un long voyage".
L'image suivante montre une jeune sexagénaire, radieuse, sur une île paradisiaque. Le spot laisse un goût amer. Il a pourtant été conçu afin d'inciter les quinquagénaires à bien préparer leur retraite.
"C'est une erreur colossale. L'annonceur utilise un code de mort et de tristesse pour parler de la pleine vie", commente Martial Ducroux, président de CIME, une agence de conseil en marketing. Il analyse : " L'humour est généralement difficile à manier. Il fonctionne à partir d'un décalage. Concernant les seniors, lorsqu'on crée un décalage, on joue sur l'âge, et l'on risque de choquer."
JEUNES ET FIERS DE L'ÊTRE
Jean-Paul Treguer accuse sa propre profession. "Les publicitaires sont jeunes et fiers de l'être : si l'on croise dans une agence un type de 40 ans, il doit s'agir d'un visiteur ou du président de l'agence", assure-t-il. La profession se caractérise en outre par sa tendance à "être dans l'air du temps, à s'autovaloriser, à se tenir au courant des dernières modes de sa tribu élitiste parisienne ou new-yorkaise".
A son avis, la création d'un spot anti-vieux est même "une des plus sûres manières de revenir avec un Lion d'or du Festival international de publicité de Cannes", qui a lieu tous les ans au mois de juin.
Le milieu de la publicité ne fait que refléter de manière paroxystique "un monde hystériquement jeuniste, une société qui refuse de voir son propre vieillissement et où celui-ci est assimilé à la déchéance et à la mort". Il rappelle, en outre, que la notion de "ménagère de moins de 50 ans", encore utilisée dans le milieu, a été introduite en... 1951 !
Les publicitaires ont tort de négliger les sexagénaires, tout simplement parce qu'ils constituent, dans tous les pays occidentaux, le segment de population le plus fortuné. Dotés de bonnes retraites, souvent propriétaires, ils savent consommer et apprécient la qualité des produits de marque. "A 50 ans, conclut Martial Ducroux, les seniors entrent dans un cycle ; si une marque les fidélise, ils peuvent rester clients pendant longtemps."
Olivier Razemon